La Fête de Pourim, tellement actuelle…
La fête de Pourim est la fête de la Galouth (les Juifs vivants en dehors d’Israël). Selon le « Midrash » (commentaire rabbinique, se trouvant dans le Talmud) Abraham, dès qu’il fut appelé par D, se trouva devant le choix tragique en ce qui concerne les destinées de sa descendance : Soit la vie de bonheur pour soi-même, c'est-à-dire la vie plate de tous (des nations du monde), soit la vie pour le salut de tous. Cependant opter pour la dernière possibilité signifie (ajoutera le Midrash) accepter la Galouth et la vie de souffrances qui s’ensuit. Abraham en pleine connaissance de cause opte pour la mission de salut, ce qui équivaut au sacrifice. Il est prêt à mettre son fils (sa descendance) sur l’autel. C’est dans la Galouth que s’accomplit le destin énigmatique d’Israël et c’est la fête messianique de Pourim qui nous révèle le sens mystérieux de la vie en Galouth, avec ses splendeurs et ses misères, avec ses élévations et ses bassesses, avec ses souffrances et ses joies que procure le courage du sacrifice.
Nous ne nous étendrons pas ici sur ce que tout le monde connaît au sujet de Pourim et qui se trouve dans le livre d’Esther (à lire absolument pour comprendre le sens de cet article, cela se trouve dans les Hagiographes), mais nous demanderons à la tradition (ainsi qu’à Jacob Gordin ז''ל dont cette étude est basée) de nous expliquer la signification profonde et non simplement extérieure de cette fête.
Pour bien marquer le sens peu banal de Pourim, citons ce Midrash étrange, d’après lequel toutes les fêtes seront un jour abolies, sauf celle de Pourim. D’après Rabbi Eléazar, Yom Kippour (le Jour du Grand Pardon), relevant de la même dignité que Pourim, resterait aussi pour toujours. Il ne faut évidemment pas prendre ce Midrash strictement à la lettre. Il affirme seulement que si on admettait pour un instant que la tradition liturgique, établie en principe pour l’éternité, sera cependant abolie un jour à l’approche de l’ère messianique, et que ni Pessakh (la Pâque Juive), ni Shavouot (la fête du don de la Torah), ni Souccot (la fête des Tabernacles), les étapes essentielles de l’année religieuse juive, ne seraient plus célébrés, faire la même supposition pour Pourim, ne peut même pas venir à l’esprit.
Pourtant, ceux pour qui la foi biblique n’est rien d’autre qu’une somme de vertus morales ou spirituelles, ne trouveront vraiment pas grand-chose dans le récit du livre d’Esther qui soit propre à justifier ce Midrash. Au contraire même, la conscience morale pourrait « se révolter » à juste titre, à la lecture de la « Méguilla » (le rouleau d’Esther) On a souvent affirmé qu’il s’agissait d’un conte à la manière orientale (intrigue de harem…) La favorite, Vashti, refuse à juste raison, de se produire nue en public. Une intrigante Esther, au contraire, prête à tous les compromis, accapare la confiance de tous et par ruse, elle simule même une scène de viole, dont Haman sera dénoncé, l’ennemi de son peuple.
Devrons-nous accepter pour cela les conclusions de nos exégètes modernes et condamner après tout au même titre que Pourim, Abraham allant sacrifier son fils Isaac ?
Et pourtant Abraham est le père de la foi du D. Un… Néanmoins, le judaïsme peut quand même répondre aux questions essentielles que se pose tout homme pensant durant son existence. Mais ce n’est certes pas en essayant d’assimiler la tradition à une conception de morale naturelle quelconque, ni même à une théorie de philosophie rationaliste plus ou moins avancée ou au goût du jour que nous entreverrons ce qui est le propre du judaïsme, ce qui crée notre individualité dans un monde où la tendance est à « l’uniforme homogénéité. »
Tout en admettant l’origine étrangère (perse) du nom d’Esther, la tradition veut tout de même assimiler le nom à la langue biblique et le déduit de la racine סתר – sator qui signifie « garder caché » וְאָנֹכִי, הַסְתֵּר אַסְתִּיר פָּנַי - va’anokhi haster astir panaï (et moi je cacherai ma face) Toute l’histoire de Pourim est dominée par cette atmosphère de secret, de profondeur. Il est connu que le Nom Divin n’est nulle part et sous aucune forme, mentionné dans le texte. Tout s’y passe comme si D. n’existait pas. Et pourtant, dans les bénédictions qui accompagnent la lecture de la Méguilla, nous remercions D. pour les miracles qu’il a fait en ces temps-là : « Sois-béni le Nom, Notre D. Roi du Monde, qui a fait des miracles pour nos pères en ces jours-là, de notre temps… » De quels miracles s’agit-il ? Apparemment, il n’y en a aucun. Le renversement de la situation se produit quand Assuérus ne pouvant dormir certain soir, se fait lire les Chroniques et que Mardochée est ainsi rappelé à son souvenir… L’heure fixée par Haman comme devant être maléfique pour les Juifs sera l’heure de la délivrance. Cependant, nous sommes loin du miracle par excellence qui fut la sortie d’Egypte car il avait brisé l’enchaînement naturel des événements des choses et introduisait ainsi la liberté dans le monde, en faisant éclater la Gloire du Nom Divin. La tradition insiste à ce sujet sur la rupture des lois du monde, sur tout l’éclat qui caractérise « Pessakh » Là le miracle a lieu de façon ouverte, publique, flagrante où l’intervention de D. est marquée à chaque seconde où Son Nom éclate à chaque instant car c’est Lui qui agit directement, de façon visible afin que son Nom soit connu. Le miracle de Pessakh est un miracle surnaturel.
Au contraire, à Pourim, le miracle s’opère dans le secret, il est quasi naturel, sans que la marche habituelle des choses soit changée.
Et pour être au centre du problème de Pourim, il nous suffit de mentionner que la semaine avant Pourim est lue la « paracha » (la section) sur Amalec (Souviens-toi d’Amalec…Deutéronome 25, 17-19 et surtout 1 Samuel 15, 1-34) Souvenons-nous en effet que les Juifs ont à peine traversé la Mer Rouge quand le peuple d’Amalec leur livra bataille et cette bataille peut paraître ridicule, alors qu’hier encore les multitudes de chars du pharaon poursuivant les Juifs ont péri et que l’intervention divine a renversé « le cavalier et son cheval » Et pourtant ici, c’est le peuple juif qui doit faire la guerre. La guerre est une question de supériorité matérielle et se pose sur un plan naturel (du moins extérieurement) Si la victoire est tout de même obtenue par un miracle (les mains levées de Moïse (Ex. 17, 8-13), ce miracle s’opère comme à Pourim, de façon « secrète. » Pourquoi n’assisterions-nous pas, comme lors de la sortie d’Egypte, à une action éclatante de D. ? Le Pharaon lui-même, ainsi que tout son peuple se sont inclinés devant D. Certes, ils essayèrent de prendre leur revanche à la Mer Rouge, mais le « Cavalier tombe » et le Nom de la Gloire de Dieu est reconnu partout, sur la terre. Telle était la raison des miracles éclatants accomplis en Egypte.
Ce n’est pas par vengeance ou par punition que D. a amené les plaies sur l’Egypte et a fait périr des êtres humains. C’est à la vingt-sixième génération du monde, la génération de Moïse que le temps est venu de faire éclater Son Nom (le sens numérique est 26… C’est de la « Guématria », chaque lettre équivaut à un chiffre, le nom de D. en hébreu: יהוה, la somme équivaut à 26) et d’amener ainsi le repentir au cœur de l’homme, « qui avec ses oreilles aura entendu et avec ses yeux aura vu. » Tout cela a été possible avec le Pharaon et les Egyptiens, avec les peuples de la terre tels que Moab, Edom… Mais chez Amalec, les oreilles sont restées bouchées et les yeux fermés… Il est dans une obstination absolue. C’est une révolte sans possibilité de retour. D. pourrait le détruire mais intervenir directement serait un acte de vengeance, c’est pourquoi le soin de cette destruction est laissé à un enchaînement d’événements naturels. La guerre reste une guerre divine, mais ce n’est pas Lui qui guerroie comme ce fut le cas en Egypte, ce sont les hommes qui se meuvent sur le plan visible des événements. Lui, il opère en secret.
Avant d’arriver aux protagonistes actuels du même drame, voyons l’origine de cette opposition d’Amalec et du peuple juif. Pour le judaïsme, le mal n’a pas un visage propre et personnel. La personnalité, l’individu ne se trouvent que « du côté du bien. » L’individualité relève d’un visage unique. La personnalité apparente du Mal est un singe dit le Midrash. D’où ces visages multiples et fluides du Mal : Satan, Samaël, Asmodée, Edom, Amalec…
L’ange contre lequel Jacob lutta est également une forme de ce mal. C’est Samaël, le prince spirituel (le démon) personnel d’Esaü et de sa descendance, Edom. Néanmoins, Jacob rentrant de son exil chez Laban se sent obligé, pour des raisons d’un autre ordre, de présenter ses hommages. En le rencontrant, « il se prosterna à terre sept fois jusqu’à ce qu’il fut près de son frère » et non seulement Jacob mais toute sa famille (Gen. 32, 3) Toutefois, se prosterner devant Esaü, le reconnaître comme maître est dangereux, c’est créer une équivoque tragique. On reconnaît la présence du Mal, on l’affirme.
Après cet acte, même involontaire, de la reconnaissance du mal, il devient presque impossible de recommencer la lutte contre le Mal, pour les descendants de Jacob, pour le peuple d’Israël. Mais heureusement « la maison de Jacob » n’a pas reconnu toute entière la maîtresse de Samaël. Le dernier né, le douzième, Benjamin, n’a pas accompli cet acte de subordination (il est né providentiellement après la rencontre.) C’est à la tribu de Benjamin d’être le chef de file dans la lutte contre le Mal.
Et c’est ainsi que s’explique le fait que la royauté ait été établie en Israël, malgré la thèse absolue et mainte fois proclamée par Samuel lui-même : « D. seul est Roi en Israël » Saül, de la tribu de Benjamin, sera accepté comme roi pour lutter contre le mal, dont la forme extrême et concrète est représentée par Amalec, descendant illégitime d’Esaü.
C’est Saül, le premier « oint » (christos, en grec) d’Israël qui devait abattre définitivement Amalec mais Saül a laissé vivre Agag, roi de ce peuple. Et quand nous aurons rappelé que Mardochée est « fils de Yaïr, fils de Shim’ï, fils de Kish, homme de Benjamin » et qu’Haman l’Agagite est de la lignée du roi Amalec, nous aurons ainsi montrée que les vieux acteurs transparaissent sous le visage de leurs descendants et apparaissent de nouveau sur la scène à l’occasion de Pourim. C’est une phase de la lutte continuelle entre le Bien et le Mal, entre Israël et Amalec.
Dans cette lutte éternelle que nous menons, nous portons la marque de la diminution que nous avons subie quand Jacob s’est prosterné devant Esaü, dont l’esprit domine les nations du monde. Les juifs de la Diaspora prennent part à leur vie, ils bâtissent leurs Etats et ce que cela implique : Leurs prisons, leurs guerres, leurs oppressions de la veuve et de l’orphelin, du pauvre par le riche, du faible par le fort, du juste par l’impie. Ils luttent pour leurs causes…
Certes, l’Etat est à eux, ils ne construisent pas les prisons, ils ne sont pas responsables des guerres mais ils n’ont que trop tendance à s’agenouiller devant leur prétendue civilisation, à vivre de compromis, à manger à la même table, les mets non cacher…
Quand la tradition demande pourquoi la génération d’Esther s’est trouvée en danger d’être exterminée, la réponse est concluante : « parce qu’ils avaient participé au festin d’Assuérus. » Et c’est le sens du premier chapitre d’Esther, la description du grand festin d’Assuérus où tout le monde est invité et où chacun boit à volonté… On ne forçait personne à boire… Et si les Juifs non contraints, viennent tout de même, cela signifie qu’ils abandonnent leur propre valeur spirituelle, qu’ils trahissent leur vocation d’être « un peuple qui séjourne à part. » Le problème de l’assimilation sous sa forme la plus malheureuse, l’assimilation spirituelle est ainsi posée comme une maladie qui rongera l’esprit juif pour le millénaire à venir…
Pourquoi finalement ? C’est une question qui m’est souvent posée. Pourquoi ne pouvons-nous ne pas vivre notre vie comme nous le souhaitons, sans être rappelé a chaque fois que nous appartenons à un peuple bien précis ?
Car Israël doit accomplir (étant sa vocation depuis Abraham) sa mission salvatrice dans la Galouth. Et si, dans un élan apocalyptique, on dira que dans « les temps à venir » les fêtes pourront être abolies, cela ne concerne pas Pourim puisque c’est la fête qui exprime le sens suprême de la présence du peuple juif parmi les nations : Préparer le salut du monde. Et si au Jour de Kippour il s’agit en premier lieu du salut individuel de l’âme, c’est le salut collectif de l’expiation pour l’humanité entière, dont nous parle Pourim…
Et comme il est écrit dans la Méguilla d’Esther 6, 16 : « Il n’y avait pour les Juifs que bonheur et joie » Il faut être plein de joie à Pourim. Eh bien, l’on boit et l’on reboit jusqu’à ce que, selon ce qui nous est prescrit, l’on devienne incapable de distinguer entre les deux formules : ברוך מרדכי וערור המן – Baroukh Mordekhai ve arour Haman – Béni Mardoché et maudit Haman.
Comment la bénédiction et la malédiction s’avèreraient-elles comme équivalentes ? N’y aurait-il aucune différence entre le bien et le mal ?
C’est justement ce que nous annonce la fête de Pourim. Il n’y a pas de différence puisque le mal succombera à l’emprise du bien, disparaîtra pour toujours, englouti par le néant d’où il est surgi. Dès que le nom d’Amalec sera effacé de dessous les cieux, le Nom Divin sera Un, en réalité et dans la conscience de tous.
!חג אורים שמח
Claude
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